Le collectif SavoirsCom1 exprime ses plus vives inquiétudes à propos des conditions dans lesquelles s’opère le renouvellement des membres du Conseil National du Numérique (CNNum). Mounir Mahjoubi, secrétaire d’Etat à l’économie numérique, a exprimé ses réserves à propos de la liste de membres présentée par la nouvelle présidente de l’institution, Marie Ekeland, et lui a demandé de lui faire de nouvelles propositions.

Cette décision du gouvernement fait suite à des pressions exercées sur le gouvernement pour s’opposer à la nomination au CNNum de la militante anti-raciste, essayiste et réalisatrice, Rokhaya Diallo et du rappeur et entrepreneur numérique Axiom.

Mounir Mahjoubi justifie son geste par le « besoin de sérénité pour travailler », « eu égard à l’ampleur des enjeux » que le CNNum aura à traiter.

Mais par cette intrusion politique dans la nomination des membres du CNNum, le gouvernement va au contraire gravement compromettre la confiance en cette institution et fragiliser ses conditions de travail, notamment dans ses relations avec les représentants de la société civile.

Le collectif SavoirsCom1 a plusieurs fois interagi ces dernières années avec le CNNum, notamment au cours du processus de consultation qui a précédé l’adoption de la loi République numérique. Le CNNum a joué un rôle important dans la réflexion autour du numérique, en ouvrant un espace où des propositions alternatives ont pu être examinées et relayées.

En utilisant sa capacité d’auto-saisine, le CNNum a également pu critiquer ouvertement l’action du gouvernement, au nom de la défense des libertés fondamentales, comme lors de l’adoption de la loi Renseignement ou dans l’affaire du méga-fichier TES. On peut regretter que le gouvernement n’ait pas tenu compte de ces avis, mais le CNNum avait au moins pu faire usage de son autonomie pour jouer un rôle dans le débat public.

Lors de l’adoption de la loi République numérique, des pressions s’étaient déjà exercées, de la part de sociétés d’ayants droit comme la SACD, pour inciter le gouvernement à reprendre en main le CNNum parce qu’il soutenait des mesures contraires à leurs intérêts. Le précédent gouvernement n’avait alors pris aucune mesure contre l’institution.

La sérénité des débats au sein d’une instance comme le CNNum tient à la civilité des personnes qui participent à ses travaux, et en aucun cas à la vigueur des opinions portées par ses membres. Les enjeux du numérique doivent être au contraire examinés sous forme de controverse à la lumières de toutes les tensions et les contradictions de la société.

Avec cette manifestation autoritaire, le gouvernement discrédite les engagements en faveur du « Gouvernement Ouvert » qu’il a pris dans le cadre de l’Open Government Partnership et à propos desquels un plan d’action 2018-2020 vient d’être annoncé. D’après les déclarations même de Mounir Mahjoubi, il aura suffi que « certaines personnes aient eu des doutes dans la communauté numérique » pour que le secrétaire à l’économie numérique demande une modification de la composition du CNNum qu’il avait pourtant validée quelques jours auparavant.

Cet épisode reflète aussi une faiblesse structurelle du CNNum qui n’est doté que d’un rôle consultatif et n’a pas un statut garantissant réellement son indépendance. Cet organe reste placé sous l’autorité directe de l’exécutif et si l’on s’en tient à la lettre des textes, Mounir Mahjoubi était dans son droit en demandant cette recomposition.

Les questions numériques sont cependant devenues si stratégiques qu’elles exigent une instance vraiment représentative et indépendante, qui pourrait par exemple trouver place dans la refonte du CESE (Conseil Economique Social et Environnemental ) envisagée par le Gouvernement.