Après des mois de tour de France, le rapport Orsenna est enfin publié… 19 mesures qui sonnent creux, aucune annonce de financement et une satisfaction de l’ABF et du Ministère de la Culture d’être à l’agenda médiatique. Ne cherchez pas de plan d’action concret, pas de financement, le rapport Orsenna n’en comporte pas.

Les 8 millions d’euros promis pour ouvrir plus les bibliothèques représentent à peine plus que les aides à la presse versées à un acteur culturel majeur comme… Télé 7 jours (7 millions d’euros en 2014)… C’est avec cela qu’il s’agit de faire la révolution des horaires des bibliothèques ? On était en droit d’attendre mieux de ce gouvernement, sachant qu’Emmanuel Macron lui-même avait rejeté son propre amendement sur l’ouverture des bibliothèques dans le gouvernement précédent pour mieux l’utiliser plus tard. Tout ça pour ça ! Par ailleurs la sénatrice Sylvie Robert a rédigé un rapport sur le même sujet avec des recommandations très proches en 2015. Combien faut-il de rapports pour construire une politique publique financée et évaluée ?

Le rapport prend acte d’un débat autour du prêt numérique… avant de recommander de se concerter à propos de PNB ! L’ABF, qui se félicite de ce rapport a pourtant pointé à plusieurs reprises, comme le mentionne Actualitté, que PNB ne doit en aucun cas être une voie exclusive, ce qui était même inscrit dans les recommandations citées par Orsenna, mais les a-t-il lues ? Le rapport affirme ne pas vouloir prendre parti dans ce débat, mais en préconisant à nouveau de s’en remettre aux négociations contractuelles, il se contente en réalité de copier-coller la position officielle du SNE en la matière. Aucune mention n’est faite du récent arrêt de la CJUE sur le livre numérique qui ouvre une voie imparfaite mais vient conforter un système dans lequel les auteurs sont rémunérés…M. Orsenna, nous n’avons pas besoin de concertation, mais d’une juste rémunération des auteurs et du respect des droits des lecteurs !

Comment ne pas être d’accord avec les appels à développer des partenariats avec tour à tour, l’Éducation Nationale, Pôle Emploi, les prisons ou la Poste ? Quels sont les objectifs de ces partenariats ? Depuis quand multiplier le nombre de partenariats constitue-t-il une politique publique digne de ce nom ? Que penser de la profonde naïveté de la proposition 18 qui recommande d’ouvrir une plateforme pour que les professionnels échangent entre eux ? Que penser enfin de la désarmante fascination pour un distributeur automatique de livres à Pantin et l’appel à mettre des boites à livres partout ? Si les politiques Hors-les-murs sont de belles (et vieilles) idées, elles n’ont pas besoin d’être mises en boites mais bel et bien évaluées comme de véritables politiques publiques de lutte pour l’inclusion numérique et l’accès aux droits comme le font nos voisins. Que penser enfin de l’appel à la protection des bibliothèques départementales de prêt dans la loi, au moment même où le gouvernement lance un plan visant à transférer les compétences des départements vers les métropoles et annonce vouloir supprimer 120 000 fonctionnaires ? Les bibliothèques obtiendront-elles une loi qu’elles réclament depuis des années à propos d’une échelle territoriale et d’un équipement public (les BDP) en voie de disparition ou de transfert ?

Alors qu’un livre sur les communs du savoir et les bibliothèques vient d’être publié, on aurait aimé des mesures plus concrètes sur la libération des droits des documents du domaine public numérique. On aurait aimé, au-delà d’un énième appel à des partenariats et d’une naïveté profonde sur les enjeux numériques, la formulation d’objectifs et d’un plan d’action clair pour inscrire les bibliothèques dans les politiques publiques de l’inclusion numérique et du développement des communs de la connaissance. Ces propositions, elles existent et SavoirsCom1 en a fait un Manifeste. Après le désastreux épisode de la SCELF où les bibliothécaires sont montés au créneau – avec les auteurs – pour défendre le droit de lire des livres aux enfants, où sont les appels à l’ouverture d’une vraie discussion pour sécuriser et élargir les usages collectifs dans les lieux culturels et pédagogiques ?

Mais il parait que les bibliothécaires sont contents qu’on parle d’eux… et Candide, lui aussi est content qu’on parle de lui et de ses livres. Les livres, c’est formidable.

Et tout repart comme avant.