La question de l’introduction de la liberté de panorama en France est examinée en ce moment dans le cadre de la loi numérique et plus de 15 000 personnes ont déjà signé une pétition de soutien lancée par Wikimedia France à destination des sénateurs où le texte doit arriver fin avril.

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Château de Versailles. Par JP Dalbéra. CC-BY. Source : Flickr.

Mais les députés ont voté hier en faveur d’un amendement à la loi Création, avec l’approbation du Ministère de la Culture, qui va créer un nouveau droit à l’image sur les immeubles des domaine nationaux, c’est-à-dire d’un ensemble de monuments appartenant à l’Etat (châteaux de Versailles, Chambord, Fontainebleau, etc.). Ce nouveau droit entend soumettre à autorisation préalable et à redevance la réutilisation de l’image de ces bâtiments dans un cadre commercial. Il vient renverser la jurisprudence « Hôtel de Girancourt’ de la Cour de Cassation, posée en 2004, qui a établi que «  le propriétaire d’une chose ne dispose pas d’un droit exclusif sur l’image de celle-ci » et ne peut s’opposer à son utilisation qu’en cas de « trouble anormal ». 

Les bâtiments récents peuvent être protégés par le droit d’auteur et c’est l’objet de la liberté de panorama d’autoriser la réutilisation de leur image. Mais ce qu’ont adopté les députés constitue exactement l’inverse de la liberté de panorama ! Les monuments anciens ne sont pas ou plus protégés par le droit d’auteur. En tant qu’oeuvre, ils appartiennent donc au domaine public, au sens de la propriété intellectuelle. Les droits patrimoniaux étant échus, leur image devrait donc pouvoir être librement réutilisée à des fins commerciales. C’est l’essence même du domaine public de garantir cette liberté.

Avec la disposition votée par les députés, l’image des monuments des domaines nationaux ne pourrait plus être réutilisée librement par un photographe professionnel vendant ses clichés, par un éditeur souhaitant les inclure dans un ouvrage ou par un cinéaste les faisant apparaître dans un film. Ces usages commerciaux sont pourtant absolument légitimes et ils participent pleinement de la valorisation du patrimoine. Il est d’ailleurs ironique que les députés aient introduit une telle mesure dans une loi censée consacrer la « liberté de création » en France, alors que cet amendement va au contraire la contraindre.

En créant cette nouvelle couche de droits, les députés portent donc une nouvelle atteinte au domaine public et à la liberté de création. Ils font un pas de plus vers l’instauration d’un domaine public payant en France, déjà lourdement entamée avec la loi Valter qui permet aux institutions culturelles de lever des redevances sur la réutilisation de reproductions numériques fidèles qu’elles produisent.

L’amendement ne concerne actuellement qu’un nombre restreint de monuments, mais l’exception peut très bien devenir la règle. imaginons un instant que ce nouveau droit à l’image des biens soit étendu à l’avenir au-delà des immeubles des domaines nationaux aux livres, tableaux, sculptures et autres objets faisant partie des collections patrimoniales. Il ne resterait alors plus grand chose du domaine public, dont l’essentiel de l’effet pratique serait neutralisé par la propriété physique des supports que peuvent revendiquer les personnes publiques.

Mais l’amendement voté par les députés va aussi avoir une conséquence encore plus grave. Il va interdire à ceux qui prennent en photo des monuments des domaines nationaux de placer leurs clichés sous des licences libres, dans la mesure où celles-ci autorisent par définition l’usage commercial. Cela signifie que la loi viendrait rendre impossible le libre partage du patrimoine par les individus. Cela revient à leur interdire de contribuer aux Communs numériques par leurs contributions. Cet amendement gênera aussi le lancement  de concours comme Wiki Love Monuments, dont l’édition 2015 avait permis le partage de 12 000 photos de monuments sous licence libre.  Cette exposition de l’image des monuments de France contribuent pourtant au rayonnement mondial de la culture française.

Pour générer quelques recettes budgétaires de plus, les députés viennent donc d’instaurer une nouvelle enclosure que le bien commun que constitue l’image des monuments des domaines nationaux. Le collectif SavoirsCom1 condamne fermement cette nouvelle étape du démantèlement du domaine public en France et appelle le Sénat à supprimer ces dispositions.