Un vote crucial sur la proposition de directive européenne sur le droit d’auteur doit avoir lieu les 23 et 24 avril au Parlement européen. Il s’agira notamment pour la commission des affaires juridiques (JURI) de décider du sort de l’article 13 du texte qui vise à généraliser le filtrage automatique des plateformes. L’eurodéputée Julia Reda (Verts/EFA) a plusieurs fois tiré la sonnette d’alarme sur les dangers d’une telle proposition. Mais malgré une forte opposition du monde associatif, les différentes moutures du texte comportent toujours ce point particulièrement préoccupant.

Certains ajouts paraissent même invraisemblables comme l’idée de filtrer les contenus non seulement a posteriori, mais aussi a priori pour vérifier automatiquement le respect des règles du droit d’auteur, ce qui ne peut se faire sans déployer des moyens de contrôle et de surveillance des internautes.

De plus, on constate une contradiction complète entre la protection des données personnelles (RGPD / E-privacy etc.) et ce genre de propositions, applicable uniquement avec la mise en place d’une forme de surveillance généralisée des contenus mis en ligne sur internet. Cette vision méconnaît manifestement l’écosystème et le fonctionnement des plateformes numériques qui s’appuient massivement sur le partage de contenus ; sans parler de l’incroyable amateurisme qui consiste à mettre dans le même sac tous les contenus, sans prendre en compte que certains sont sous licence libre et n’ont pas à subir ce système de filtrage.

Cette proposition de directive incarne parfaitement le désarroi dans lequel se trouvent les ayants droits face aux grands acteurs, type Facebook ou Google. Ils souhaitent “partager la valeur” produite par les utilisateurs en utilisant le levier du renforcement de la propriété intellectuelle, mais tout en étant inefficace, cette solution générera de sérieux dommages collatéraux. Des acteurs comme YouTube ou Facebook ont en réalité déjà déployé des systèmes de filtrage automatisé et ils sont même en pointe sur le sujet. Ils sont donc tout à fait prêts à anticiper cette directive, qui ne les contrera pas mais au contraire renforcera leur position dominante. Le filtrage automatique créera un nouveau “coût d’entrée” sur le marché que seuls les plus gros pourront se payer.

Le problème sera le même concernant l’idée d’instaurer une “obligation de conclure des licences avec les ayants droits” afin que les plateformes leur versent des redevances pour les contenus postés par leurs utilisateurs :  seuls les gros acteurs seront capables de négocier et de payer de tels accords, qui vont en fait ressembler à des “licences globales privées”. De telles initiatives renforceront  la fermeture de l’écosystème et sa centralisation. On commence d’ailleurs déjà à voir cette dérive se mettre en place (voir le récent accord Facebook/Sony par exemple), avec à terme des conséquences assez comparables à une remise en cause de la neutralité du net.

Si l’enjeu réel est de « partager la valeur » avec les plateformes, alors la façon la plus efficace de le faire est d’agir le plan de la fiscalité des acteurs du numérique, comme la Commission commence enfin d’ailleurs à l’envisager.

Cette directive rappelle beaucoup l’épisode du vote de la loi Hadopi : plutôt que de mettre en place une licence globale, le législateur et les ayants droits se sont alors acharnés à essayer d’empêcher les usages de type téléchargements illégaux. Ceux-ci n’étaient pourtant pas un problème réel sur le plan économique, mais ils étaient surtout symptomatiques d’une évolution des usages et d’un problème d’adaptation aux nouveaux standards de partage (MP3). Depuis, la multiplication des abonnements privés (Spotify, Deezer, Netflix et consort) associés à une facilité d’accès sans égal, mais spécifiques à chaque type de contenu, a sans doute définitivement tué tout espoir de construction à moyen terme de licences globales “culturelles” socialisée au niveau national.

Malgré tout, c’est sans doute l’opportunité pour les militants des Communs de changer de stratégie en investissant des terrains comme ceux des droits culturels et des droits sociaux. Ces nouvelles approches permettraient de nouer un autre type de dialogue avec les titulaires de droits, à commencer par les auteurs qui seront sans doute les plus sensibles à ces arguments.

Car c’est aussi l’autre dommage collatéral de cette directive. Elle est vide de toute mesure qui pourrait améliorer réellement la condition des créateurs. Ce paradoxe est la preuve que la propriété intellectuelle n’est plus le terrain sur lequel les droits d’usage sur la culture et la justice sociale pour les auteurs peuvent être démocratiquement discutés. On essaye de combattre l’usage par le réglementaire, là où il faudrait se battre pour la construction d’autres types d’usages à base de modèles économiques plus sains.

Et pour ce faire, la meilleure solution nous semble être de socialiser la valeur du travail et de mutualiser le financement de la création.

Pour protester contre cette directive absurde et dangereuse, contactez les eurodéputé·e·s de la commission « affaires juridiques » du Parlement (connue sous l’acronyme JURI). Vous trouverez leur nom et leur contact twitter ici : https://edri.org/contact-ep-juri/#france.

Les 23 et 24 avril, le vote dans la commission du parlement aura lieu sur ce texte. C’est le moment faire savoir à nos députés européens que vous êtes contre le filtrage de vos envois sur internet qui serait mis en place avec cette directive.